dimanche, octobre 30, 2005

LA TORRENTADA




Nous sommes arrivés l'avant-veille à Porto-Cristo, sur la côte SE de Majorque. Le gars de la marina nous a fait de grands signes pour venir se placer à un ponton.

Connaissant le coin, j'ai fait celui qui ne voyait rien et suis allé me mettre en face, au quai public : mouillé sur ancre par l'avant, deux amarres à l'arrière. J'ai eu le nez rudement creux de ne pas aller à la marina. On va voir pourquoi !...

Ce matin nous sommes réveillés par la pluie. Pas une pluie bretonne : ce sont des cataractes d'eau qui tombent sur HAYADORI, notre Endurance. Il est à peu près 6 h. Celà va durer sans interruption pendant environ 2 heures au moins.

Quand la pluie cesse, nous entendons comme un bruit de torrent. Et c'est bien de ça qu'il s'agit : j'ouvre le capot de descente. La rivière s'est transformée en torrent de boue café au lait. Hayadori, comme ses voisins (je suis entre un ketch anglais, et un américain) a dérapé de l'avant sous la force du courant et est à 45° du quai, juste tenu par ses amarres AR.

Et dévalant la rivière, je vois passer une... Ford Fiesta en tournoyant parmi les branches mortes ! Je prends conscience alors qu'il se passe des choses bizarres.

Puis c'est un Maldives qui part à la dérive et qui va s'échouer sur la plage. Et aussi un grand ketch, qui a moins de chance et qui s'écrase sur la digue, les haubans qui se rompent... Tous deux viennent de la marina en face, où c'est un spectacle de désolation : pontons désarticulés, bateaux enchevêtrés, plaisanciers affolés, certains ayant eu à peine le temps de s'habiller. Nous apprendrons par la suite qu'une demi-douzaine de bateaux ont coulé (et l'on verra d'ailleurs le lendemain juste les mats émerger de l'eau ; quel triste spectacle !)

L'eau continue de monter. J'ai eu le temps de doubler mes amarres, mais celles-ci commencent à pêter, sous la force du courant. D'autant qu'une grosse vedette à la dérive elle aussi est venue se coincer dans la chaîne de l'anglais, et pèse de tout son poids sur nos avants. Le voisin ne fait ni une ni deux : scie à métaux, et coupe sa chaîne. La vedette enfin libérée s'en va continuer son chemin vers la mer...

C'est le sauve qui peut : l'américaine a côté ressort avec des affaires, ma femme commence à en préparer pour nous. Je mets de la chaîne à l'arrière aux bittes du quai pour retenir Hayadori, qui menace bel et bien de s'en aller lui aussi à la dérive.

L'eau a dépassé maintenant le niveau du quai. Je suis toujours à bord pour règler mes amarres.

Et soudainement, c'est la décrue. L'eau baisse presque à vue d'oeil. Mais le talon de quille d'Hayadori est monté sur le quai, et, retenu sur son arrière, l'avant commence à plonger dans l'eau. Je largue la chaîne, et donne du mou aux amarres, et Hayadori glisse du quai pour retrouver une position plus normale...

Evidemment celà fera les gros titres dans les journaux du lendemain. Par chance, il n'y a eu ni morts, ni blessés. Le pont qui relie les deux parties de la ville s'est écroulé sous la puissance des eaux.

C'était la "torrentada"...